Le patineur du futur (4/8) : les jambes

Publié le par Vincent Esnault

Cela faisait maintenant dix jours que je pouvais entrer dans le laboratoire du professeur Sporkosy. Il m’avait révélé à peu près tout sur ses recherches, du moins tout ce que j’étais en mesure de comprendre. J’avais pu voir, reconstitué en 3-D sur les ordinateurs de son bureau, l’aspect idéal qu’il entendait donner aux pieds et aux jambes de ses « spécimens » de patineurs de vitesse. Nous étions au beau milieu de l’hiver, et au beau milieu du corps du sportif également.

La problématique du professeur par rapport aux jambes, c’était d’être en mesure de reconstituer la foulée parfaite des patineurs de vitesse. Pour cela, il lui a fallu éliminer : une foulée sur des roulettes, ce n’est pas une foulée d’un coureur à pied, ni celle d’un patineur sur glace. Certes, la base du mouvement consiste en cette action mécanique de déroulement de la jambe, mais ce n’est là qu’un des deux aspects : le patineur sur roulette doit savoir faire la double foulée.

Sporkosy a donc dû éliminer des hypothèses. Si son patineur n’avait eu à faire qu’une simple foulée, il aurait travaillé sur la musculature et sur les fibres. Mais ce mouvement de la double foulée, c’est un peu casse-tête : comment faire en sorte que la propulsion soit identique et aussi efficace en quarre externe et en quarre interne ? Impossible de trouver des exemples dans la nature : ni les pattes d’un grillon, ni celles d’un guépard ne restituent exactement le même mouvement.

Il lui a donc fallu visionner des heures et des heures de bandes vidéo et dépecer chaque seconde des foulées des meilleurs patineurs. En leur temps, des entraîneurs de renom des Antipodes l’avaient déjà fait pour inculquer à leurs élèves l’art de la « double push » qui fait tant parler les esthètes. Un jour, le professeur eut la révélation : la solution résidait dans la forme des jambes, ou, pour être tout à fait exact, dans le positionnement des os en partant du bassin et jusqu’à la malléole.

Pour qu’un patineur exécute parfaitement, à tous les coups et de manière efficace, la double poussée, il fallait qu’il ait les jambes arquées : c’était la conclusion du professeur. De cette manière, il avait trouvé que le pied tombait idéalement en position de quarre externe, et qu’ainsi, la jambe pouvait commencer à enclencher sa rotation spécifique externe/interne. Par conséquent, le mouvement dynamique et continu de poussée devenait pour ainsi dire mécanique. Le reste – c’est-à-dire la texture des fibres musculaires et la puissance de chaque membre – c’était juste devenu un petit détail à régler.

Sporkosy en était convaincu : un patineur de vitesse idéal devait présenter à la fois une certaine courbure de sa voûte plantaire, des orteils recroquevillés et des jambes arquées. Il affirmait pour conclure que son projet de faire naître des athlètes présentant toutes ces particularités n’était plus très loin d’aboutir. Déjà, trois couples de patineurs (dont les noms ne seront pas divulgués ici pour des raisons évidentes de déontologie) avaient pris contact avec le professeur : « il faut qu’ils aient un fort pouvoir d’achat, parce-que je veux décourager des gens qui s’engageraient sur un coup de tête » expliquait-il à propos de ses clients. Il n’a pas voulu en dire plus, ni sur les manipulations in vitro à proprement parler (ce qu’il appelait pudiquement des « réformes » du corps humain), ni sur le prix à payer pour en faire bénéficier sa progéniture. « Pour en savoir plus, allez voir ma consœur, la professeure Conteste… »


                                                                 Radioscopie du phénomène

Publié dans Le patineur du futur

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Ami et collègue du Dr Sporkosy, je me permets de vous apporter d’amples informations quant à l’ossature des membres inférieurs de notre patineur du futur. Conformément à une double poussée avec un angle vacillant entre -70° en carre externe et 60 en carre interne, nous avons pu calculer l’angle fémoro-tibial exacte de ce genu valgum! L’angle parfait serait ainsi de 18,6 !!! (Auquel il faut adjoindre un metartasus varus adductus afin d’équilibrer le tout, mais cela parait évident). Je pense que ces informations essentielles satisferont les plus inquisiteur. <br /> En attendant vos prochaines aventures, je vous salue chaleureusement.
Répondre